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Interview

Hugues Labiano : Voyage en Louisiane

La trentaine passée, Hugues Labiano se forge un parcours parfait : première initiation au dessin aux Arts Plastiques, premières illustrations publiées aux éditions Hachette, Bayard et Glénat, premier album chez Alpen sous l’égide de Christin & Mézières, première série chez Glénat (Matador) puis confirmation éclatante avec Dixie Road scénarisée par Jean Dufaux.

Vous avez véritablement débuté dans l’équipe de Canal-Choc1 mise en place par Christin & Mézières aux Humanos. Cette expérience vous a-t-elle servi ?
Bien sûr, c’était le but même de ce collectif : former de jeunes dessinateurs en un temps relativement restreint sur un projet concret de série avec l’appui logistique d’un éditeur. Une formation "en entreprise", en quelque sorte. Mais, soyons clairs, le résultat n’a pas été à la hauteur du projet de base. Sur un plan purement créatif, j’ai ressenti pas mal de frustration. Philippe Chapelle et moi-même, qui étions crayonneurs, en avons bavé, Mézières étant un maître exigeant ! Mais bon, c’est aussi cette exigence qui m’a appris la rigueur du cadrage, la lisibilité, la nécessité d’être productif, toutes ces choses qui me servent aujourd’hui. Et puis il y a surtout ma rencontre avec deux grands auteurs qui m’ont fait rêver. Ça compte !

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la série Matador publiée aux éditions Glénat ?
Je considère Matador comme ma véritable première création. Elle est née de mon envie de travailler sur un sujet original — et décrié, je sais : la tauromachie — ainsi que de ma rencontre avec Gani Jakupi, le scénariste, et le soutien de Jean-Claude Camano, directeur littéraire chez Glénat. On ne peut pas dire que cela a été un gros succès mais c’est une série dont je suis fier et qui a rempli sa fonction : m’aider à me perfectionner, à chercher mon style et, surtout, à toucher tous ceux qui l’ont lue. J’aimerais ajouter que Jakupi est un scénariste sur lequel les éditeurs devraient se pencher un peu plus qu’ils ne le font : il peut faire de grandes choses…

On arrive à Dixie Road. Comment est venue l’idée ?
Eh bien on peut presque dire que Dixie Road existe parce que Jean Dufaux était un lecteur de Matador et qu’il appréciait mon travail. Je l’ai appris par Jean-Claude Camano et notre rencontre a été provoquée. Dixie Road est née autour d’une table, devant une bonne bouteille. C’est comme ça, je crois, que procède Jean : il vous fait mettre à table dans tous les sens du terme. S’il vous "sent", le tour est joué. Et le tour a été joué à l’entame de la deuxième moitié de la bouteille. Facile.

N’aviez-vous pas d’appréhension à l’idée de travailler avec un scénariste aussi chevronné ?
Oui oui, avant de le rencontrer "vraiment", j’avais une idée de lui, une idée partagée, il me semble, par beaucoup de monde : celle d’un intellectuel un peu au-dessus de la mêlée et "produisant" beaucoup. J’avais — et tous les autres avec moi — tout faux ! Jean Dufaux a une culture impressionnante mais parfaitement digérée, c’est ce qui fait, je crois, sa force. Il a aussi une grande sensibilité et sa capacité d’écoute vous met rapidement à l’aise, vous fait sentir totalement partenaire, acteur du projet. L’idée de hiérarchie disparaît vite, vous pouvez donner votre pleine mesure. Pour finir, vous ne travaillez pas seulement avec le scénariste qui compte mais avec un ami.

Dixie Road c’est les Etats-Unis des années trente, la crise, le racisme… On pense aussi beaucoup à Steinbeck. Comment vous documentez-vous ?
Steinbeck, c’est la référence majeure quand on parle de Dixie Road. En tout cas, je le ressens comme ça. Quant à la documentation, elle ne manque pas. Des tas d’immenses photographes de l’époque (Walker Evan en tête) ont été envoyés sur le terrain par des organismes d’Etat ou autre. Et les livres qui en ont résulté sont nombreux. Il suffit de s’en imprégner !
On sent que la couleur est un élément essentiel dans la série…
Bien sûr. Marie-Paule Alluard est, depuis mes débuts sur Matador, une véritable "partenaire", le prolongement évident de mon travail et j’aurais du mal à me passer d’elle. Je crois que notre entente est parfaite et le succès de la série lui doit beaucoup. C’est une créatrice dans son domaine.

Vous êtes allé en Louisiane il y a peu de temps. Que retenez-vous de ce voyage ?
Cela a été un moment magique, l’accomplissement de quelques rêves de gamin, à l’époque où je voyais les Etats-Unis comme la Terre promise, le lieu où tout est possible et beau. Je sais aujourd’hui que cela n’est pas vrai : j’y ai vu et ressenti des choses que je n’ai pas aimées. Mais malgré tout cela j’y retournerai dès que possible. Je boirai de la Budweiser en écoutant du blues à la Nouvelle-Orléans, je parlerai de la France avec le maire de Natchez Down the Hill au bord du Mississipi, je roulerai, climatisation à fond, sur les "interstates" du Sud profond parce que c’est comme ça et ça restera encore comme ça. Quoi qu’on fasse.

Combien d’albums comprendra la série ?
Un quatrième album clôturera le cycle. Mais l’aventure Dixie Road continuera, j’en suis sûr maintenant. Parce que Jean et moi en avons envie, parce qu’il y a là tout un univers à approfondir, des dessins à tracer et du plaisir à créer tout ça.

Vous avez eu un prix récemment2. Heureux ? !
Oui, ne soyons pas hypocrite. Et puis, c’est toujours sur ses terres — même d’adoption — qu’on a le plus de chance d’être distingué, on le sait bien !

A ce propos, pouvez-vous nous parler du magazine que vous avez créé avec d’autres auteurs sur la région ?
C’est une expérience intéressante, une autre approche du boulot hors des circuits classiques et du confort relatif des grandes maisons. Mais je ne suis clairement qu’un collaborateur du collectif d’auteurs appelé Le Studio et qui publie la revue Azimut. Les véritables "héros" et acteurs de l’aventure s’appellent Alain Garrigue, Bernard Olivié, Gilles Goullesque et Bernard Cladères.

Dernière question : vous avez un projet avec deux autres scénaristes confirmés, Serge Le Tendre et Rodolphe. Qu’en sera-t-il ?
Il s’agira d’un thriller contemporain se déroulant dans le nord-est des Etats-Unis. L’histoire comptera deux albums et sortira dans la nouvelle collection du Lombard, "Troisième Vague" (voir p.20). Après quelques aléas qui m’ont fait perdre du temps, je me suis mis au travail. Je ferai mon possible pour "l’offrir" au plus vite au public. Mais il lui faudra être patient !

FLB

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