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Enrico Marini : signe du Scorpion...

Plus besoin de mettre en évidence l’étourdissante virtuosité d’Enrico Marini. Le nouvel album du Scorpion, (avec Desberg, Dargaud) l’atteste…
Influences conscientes ou involontairement annexées, on pense à Burne Hogarth, Carmine Infantino, Neal Adams, Joe Kubert et John Buscema pour la force, l’élégance et la sûreté du trait ;
à Manara, Serpieri et Vallejo pour la sensualité, notamment des corps féminins, et l’érotisme dans tout ce qu’il a de plus noble. Avec La Croix de Pierre, nouvel opus de la série Le Scorpion, le jeune dessinateur italien affirme sa maîtrise des décors historiques. Nous sommes dans la seconde moitié du xviiie siècle, et dans les alentours du Vatican.


Cette période a-t-elle posé des problèmes de dessin ?
Il s’agissait de ne pas trop céder à la fantaisie. Je me suis servi de documentation pour reconstituer les lieux, de même que la chapelle Sixtine où se déroulent les votes pour l’élection du pape. Mais je tiens à garder ma vision personnelle de la place du décor dans une bande dessinée : il vit en quelque sorte avec les personnages et participe à l’action. Ici, il fallait rendre l’atmosphère d’intrigues de palais, de complots tramés dans les coulisses. Cela ne signifie pas que le décor doive écraser les protagonistes par une surabondance de détails.

Le décor ne cesse de servir le projet narratif ?
Exactement. Dans La Croix de Pierre, tome 3 de la série, l’action peut paraître plus contenue que dans les précédents albums, parce que les machinations et les conjurations se nouent en des lieux secrets et confinés. Il n’y a pas le côté “poursuites”, cher aux romans de cape et d’épée. Tout se déroule dans Rome et, plus spécialement au Vatican. Le décor, ce ne sont plus les grands espaces propices aux chasses à cheval, mais les alcôves, les portes dérobées, les souterrains, les bas quartiers, et même les salles de torture – mais je ne vais pas en dire plus pour ne pas dévoiler l’intrigue !

Vous vous offrez même un détour par le premier siècle de notre ère !
Il fallait cet avant-propos pour expliquer les manigances du cardinal Trebaldi, bien décidé à succéder au pape qu’il a assassiné. Et à imposer un type de société adepte de la “pensée unique” et du “politiquement correct”, version xviiie. Cela m’a amusé de me plonger, l’espace de deux planches, dans l’empire romain, avec ses légionnaires, les ors et la pourpre.

Vous parliez de documentation : comment avez-vous pénétré le secret de l’élection papale, à laquelle on assiste dans La Croix de Pierre ?
Il existe des documents, des reconstitutions, des témoignages. Des films, aussi. L’élection n’est plus aussi secrète que cela, même pour ce qui concerne les procédures : décompte des votes, interventions des candidats, destruction des bulletins de vote par le feu, suivie de la fumée noire ou blanche… Bien sûr, on n’a pas de photos ou, pour les époques plus lointaines, de croquis pris sur le vif, mais je ne le regrette pas. Je n’avais pas l’intention de réaliser un reportage dans le xviiie siècle, mais bien une aventure de cape et d’épée.

Pour les épisodes suivants, on retournera au grand air ?
On quittera Rome. Il est prévu que le Scorpion parte pour la Cappadoce, la Russie, la France, l’Amérique du Sud, peut-être. Mais ne me faites pas dire que les voyages vont se dérouler dans cet ordre. Nous voyons bien, Desberg et moi, quel est le destin du Scorpion, mais nous nous laissons des plages de liberté pour des digressions en cours de route.

Comment se passe l’élaboration d’un album du Scorpion ?
Il faut remonter à la genèse de la série. J’avais envie de raconter une histoire de cape et d’épée, et une idée m’était venue. A l’époque, je ne me sentais pas assez aguerri pour assurer le scénario et le dessin de pair. J’en ai parlé à Stephen Desberg, qui a structuré les idées de départ. Nous avons discuté longuement, avant d’aboutir à la mouture définitive d’une trame, qui est le destin du Scorpion. Nous avons établi les grandes lignes de sa biographie, avec les zones d’ombre et de mystères. Il en va de même pour chaque album. Maintenant que nous connaissons notre personnage, nous pouvons nous permettre d’imaginer les épisodes de sa vie, un par un.

La collaboration Desberg-Marini, c’est d’abord un dialogue ?
Nous nous rencontrons souvent. Le premier stade, c’est mettre sur table un certain nombre d’idées que nous avons chacun en tête. Pour moi, c’est très important, parce qu’un dessinateur, c’est un solitaire ; j’ai besoin d’échanges d’idées. Ce “brain-storming” terminé, Desberg écrit un synopsis, sur lequel nous discutons encore. L’écriture du découpage et des dialogues intervient après cette phase. Ce qui n’exclut pas des retouches dès que je passe au dessin. Tout cela se passe en pleine concertation avec Desberg.

Qu’est-ce qui vous inspire des modifications ?
Parfois ce peut être un manque de documentation ; à d’autres moments, une question de découpage. La bande dessinée à un langage bien à elle, qui n’est ni celui d’un texte ni celui d’un film. Une action passe très bien au cinéma, mais nécessite, à l’occasion, un découpage fastidieux en BD. Notez que celle-ci apporte souvent elle-même sa propre solution. Par exemple, l’image cinématographique est appuyée par le mouvement, le son, la musique – tous éléments que l’on ne retrouve pas en BD. En revanche, le dessin fait naître des univers ou, plus simplement, des situations qui, dans un film, mobiliseraient des armées de spécialistes en effets spéciaux.

Dans Le Scorpion, quel est l’apport personnel qui vous rend le plus heureux ?
D’abord, d’avoir réalisé un rêve d’enfance : faire vivre une aventure de cape et d’épée. Et puis, d’avoir inventé le personnage principal et son nom ! Je l’avais dessiné avant de rencontrer Desberg et, comme je l’ai déjà raconté, de donner sa personnalité définitive à cet univers, appelé à connaître au moins une dizaine d’albums. C’est vraiment un travail de longue haleine.

Vous animez trois grandes séries (Gipsy, Rapaces, Le Scorpion) : vous ne travaillez jamais en parallèle deux de ces productions ?
Non. Il faut que je m’immerge totalement dans l’univers d’un album. Rien n’est impossible, notamment pour des questions de délais de parution, mais entre le xviiie siècle, le monde des camionneurs et celui de vampires, l’osmose passe mal !

Envisagez-vous une quatrième série ?
Il se fait que le cycle de Rapaces touche à sa fin. Cela m’assurera une fenêtre pour un autre projet, mais ce ne sera pas une série. Un one-shot ? J’ai bien une idée, mais elle n’en est qu’à ses prémices. Et il se pourrait bien qu’à l’arrivée, ce soit tout autre chose. Donc, je préfère ne pas en parler, même si une nouvelle aventure est à l’ordre du jour !

Se pourrait-il qu’on assiste bientôt à l’arrivée d’un album signé Enrico Marini – seul ?.

Alain De Kuyssche

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