Lorsqu’un grand reporter ayant longtemps baroudé entre la Colombie et les mers de Chine rencontre un dessinateur virtuose, le récit qui en sort ne peut être banal. Insiders, l’histoire d’une femme de choc qui plonge au cœur du pouvoir, s’annonce comme l’un des chocs de la rentrée. Ecoutez parler les auteurs, vous comprendrez ce que l’on veut dire.
Jean Claude Bartoll, Insiders est votre premier scénario de BD, quel a été votre parcours ?
Un bac littéraire en poche, puis la fac de droit où je me suis passionné pour les relations internationales, ce qui m’a ensuite conduit à présenter le concours du Centre de Formation des Journalistes de la rue du Louvre à Paris. Là, j’ai fait la section journaliste reporter d’images et, après l’école, je suis allé frapper à la porte des grandes agences de presse de l’époque en leur proposant des sujets de reportage que je souhaitais réaliser avec ma caméra à l’épaule… La chance m’a rapidement souri. Mes idées ont été acceptées et j’y ai rencontré mon épouse qui était elle-même journaliste reporter photographe ! Puis, les enquêtes et les tournages se sont succédés aux quatre coins de la planète… Mais avec toujours le même dénominateur commun : travailler sur des idées " coup de cœur " et privilégier la dimension humaine dans les histoires que je raconte…
Réalisateur de nombreuses enquêtes pour la télévision, comment avez-vous intégré votre expérience de grand reporter dans votre scénario ?
Insiders est l’aboutissement de ces années d’enquêtes. Je suis quelqu’un qui accumule beaucoup de documentation sur des sujets divers que je classe par thèmes. Et, au bout d’un moment, en mettant bout à bout ces infos et en les recoupant avec diverses sources, je vois se dessiner des lignes directrices qui relient des événements ou des faits bruts entre eux… C’est là que l’imagination du scénariste prend le relais de la rigueur du reporter. Un monde " décodé " sort alors de ma plume (et de mon traitement de texte) afin d’offrir aux lecteurs des clés pour comprendre une actualité… plus ou moins brûlante !
Quel a été votre reportage le plus difficile ?
Celui de jouer moi-même l’Insider (rires) !… Non c’est vrai, je ne rigole pas !… C’était en République Dominicaine non loin de la frontière avec Haïti (NDA : deux pays qui se partagent l’île d’Hispaniola dans les Caraïbes…) J’avais débarqué à Saint-Domingue sous l’identité d’un banal touriste venu profiter des magnifiques plages de l’endroit mais j’ai rapidement " plongé " dans la clandestinité afin de m’introduire dans les plantations de canne à sucre où se déroulait un odieux trafic d’esclaves recrutés manu militari en Haïti (un des pays les plus pauvres de la planète). Grâce à mes contacts locaux (que je remercie encore aujourd’hui), j’ai pu rapporter des images et des témoignages sur cet esclavage moderne couvert par la raison d’Etat… en jouant à cache-cache avec des gardes armés jusqu’aux dents et des Tontons Macoutes (les miliciens de l’ancien dictateur local) qui maniaient la machette sans beaucoup de discernement !…
C'est un peu un parcours à la Charlier. Qui sont vos maîtres en BD ?
J’ai appris à lire avec Tintin, j’ai découvert le charme so british avec Blake et Mortimer, j’ai galopé avec Blueberry, je suis parti à l’abordage avec Barbe Rouge, j’ai frissonné avec Tanguy et Laverdure, j’ai tenté de découvrir la véritable identité de XIII, j’ai été jaloux des millions de Largo Winch (Nério pourquoi n’as-tu eu qu’un seul héritier ? ! ?… Et, aujourd’hui, j’attends de savoir où Tramp va poser son sac de marin… bon, j’arrête là car il m’en vient encore d’autres à l’esprit !!!
Pourquoi une héroïne ?
Justement, ça ne vous manque pas, vous, de voir des femmes intelligentes tenir de vrais premiers rôles ? Parce qu’il faut l’avouer, la gent féminine n’a pas toujours le haut de l’affiche en BD ! Moi ça me manquait… et Najah est si belle (merci Renaud !…)
Najah est colombienne, je crois que vous connaissez plutôt bien ce pays ?
Si amigo ! Le plus beau pays de la terre et… le plus violent ! Depuis 1964, la guerre civile en Colombie a déjà fait plus de 200 000 morts, avec une moyenne de 3 000 enlèvements de civils par an ! Et c’est là-bas que j’ai passé de longues semaines afin d’effectuer des reportages sur les escadrons de la mort, l’assassinat des journalistes locaux, les “gamines " (enfants des rues) livrés à eux-mêmes des rues de Bogota puis je me suis lancé sur la piste des barons du Cartel de Medellin… et c’est dans cette ville du centre du pays où j’ai même failli y passer… j’étais en train de tourner dans un quartier déshérité lorsque des policiers en civil ont débarqué et se sont mis à canarder un taudis où se terraient des tueurs du cartel… c’était Fort Alamo et moi, au milieu de tout ça, je n’en menais pas large !
Avez-vous déjà en tête la suite ?
Bien sûr, mais je ne vais quand même pas tout vous dévoiler !
Comment s’est passé votre rencontre avec Renaud Garreta ?
J’étais époustouflé par son sens du cadrage dans sa série Fox One qui revisitait le mythe Top Gun… Nous nous sommes rencontrés et tout de suite très bien entendus… Quant à son changement de style, c’est vrai qu’auparavant il travaillait en couleurs directes avec ses Pantone, et que sur Insiders, il travaille avec un pinceau afin d’encrer ses planches qui sont ensuite mises en couleur par Scarlett. Renaud est quelqu’un de curieux qui souhaite continuer sa quête graphique en abordant beaucoup d’autres styles ou techniques…
Renaud Garreta, on vous connaît surtout à travers Fox One qui fut votre première bande dessinée.
Fox One est venu de mon envie de faire de la BD et de ma rencontre avec le chargé de communication de Dassault, nous avons parlé avions, Rafales, et on a été aidé par Dassault pour lancer la série avec une liberté totale au niveau du scénario. Ils regrettaient comme tout le monde Tanguy et Laverdure. Et là-dessus les albums se sont extrêmement bien vendus (rires)
Votre expérience de story boarder est-elle un plus pour la BD ?
Je suis rough man depuis 1987, disons que ça m’a donné une légère expérience (rires). J’ai notamment eu la chance de travailler sur le story board et sur le design du prochain film d’Enki Bilal, l’adaptation cinématographique de La Femme Piège. Ce fut une expérience enrichissante.
Pour Insiders, vous êtes passé au pinceau.
Oui, c’était sympa de découvrir une autre technique, et j’ai pris beaucoup de plaisir à revenir à une BD plus classique. En plus, j’espère aller en m’améliorant.
Une de vos grandes qualités réside dans les scènes d’action, tout ce qui bouge et va vite, il y a notamment une scène en jet ski digne des meilleurs James Bond.
Merci, c’est vrai que j’aime bien la vitesse, tout ce qui bouge, j’ai fait du circuit moto, un peu d’avion, j’espère que cela se voit dans les dessins !
Comment s’est passée la collaboration avec un scénariste novice dans le monde de la bande dessinée ?
C’est vraiment agréable, son passé de grand reporter fait qu’il sait vraiment de quoi il parle. En outre, il a une montagne de documentation, si bien que l’on a pu être vraiment réaliste. Et moi, j’ai essayé d’apporter mon découpage cinématographique.
Philippe Ostermann
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