Le 1er tome de Chinaman avait marqué la rentrée 1997. Ce deuxième titre confirme les espoirs placés dans cette série qui va au-delà du simple western.
Comment est né Chinaman ?
T : Chinaman vient d’une idée qui remonte maintenant à une dizaine d’années. A l’époque, je travaillais en atelier avec Thierry Robin et Pierre-Yves Gabrion et nous avions très envie de raconter des histoires d’aventure où l’émotion ne serait pas absente. Pour moi ce serait un western, mon univers de prédilection. Mais il devait être différent des westerns habituels.
D’où le choix de ce héros asiatique ?
T : Effectivement. Cette différence s’est imposée de façon logique puisque je suis moi-même d’origine asiatique. Ce serait donc un Chinois immigré aux États-Unis pendant la ruée vers l’or au siècle dernier. J’ai commencé à écrire une première mouture de Chinaman avec mon épouse Chantal. Nous nous sommes rendus compte que nous avions besoin de l’apport d’un très bon scénariste pour mettre le scénario à la hauteur de nos ambitions. Nous avons donc proposé le bébé à Serge Le Tendre.
LT : Ils m’ont demandé d’y jeter un coup d’œil. Je me suis donc empressé de tout modifier en y apportant subrepticement des idées personnelles afin qu’ils ne puissent plus se passer de moi.
T : L’histoire s’en est trouvée totalement différente, à part, bien sûr, l’idée de base d’un Chinois dans l’Ouest américain. Serge s’est pris au jeu et s’est totalement approprié l’univers, comme je l’encourageais à le faire.
Chinaman est un western qui n’a rien à voir avec ce qui se fait en BD.
LT : Chinaman était une volonté pour moi de trouver un sujet original, une terre vierge à explorer. Une volonté d’émigrant en quelque sorte.
T : Pour ma part, comme je l’ai déjà dit, le western m’a toujours énormément attiré, aussi bien au cinéma qu’en BD. J’ai pris un grand plaisir à lire des séries comme Blueberry ou Comanche. Elles ont été d’une grande influence par la suite dans mon travail. Des auteurs comme Derib, Blanc-Dumont ou Rossi ont également apporté leur contribution au genre. J’espère moi aussi, dans une moindre mesure, apporter une pièce à l’édifice avec Chinaman.
Vous abordez un côté de l’histoire peu connu de l’Amérique.
T : Oui, je voulais gratter cette surface et aller voir en profondeur les réalités historiques de l’immigration chinoise aux États-Unis. Notre volonté de départ n’était pas de réaliser une Ïuvre didactique mais plutôt un récit d’aventures centré sur un Chinois dont on suivrait l’évolution psychologique au travers de ses pérégrinations.
Pensez-vous que, après avoir lu Chinaman, on cessera d’assimiler dans la BD les Chinois à des blanchisseurs ?
LT : Ah bon, ils avaient d’autres métiers ?
T : Il est difficile de se débarrasser de cette caricature traditionnelle du Chinois blanchisseur mais on a pu découvrir que les Chinois étaient tout aussi bien des commerçants, des mineurs, des fermiers ou encore même des ouvriers. La minorité chinoise a joué aux États-Unis un rôle très important dans la croissance de la Californie. Elle a participé de façon prépondérante à la réalisation de la ligne de chemin de fer transcontinentale.
Pour en revenir à votre héros, celui-ci vit une importante crise d’identité.
T : Ce qui nous intéressait, c’était de voir comment un homme élevé dans la culture chinoise allait pouvoir s’adapter au Nouveau Monde une fois coupé de ses racines. C’est le choc de deux cultures vécu par un être de chair. Chen Long, qui deviendra par la suite Chinaman, est un combattant très attaché à la tradition, à la notion d’autorité. Au début il n’est pas du tout attiré par le monde des Blancs. Mais à cause de la traîtrise de son maître, il va être amené à rejeter le joug de la tradition.
LT : C’est à ce moment-là qu’il revendiquera le nom de Chinaman, l’équivalent de "Chinetoque" en français, pour mieux masquer l’abandon de ses anciennes valeurs, de son ancien moi.
Puisque vous abordez le sujet, revendiquez-vous cette seconde lecture plus psychanalytique ? Je pense à l’idée de transfert.
LT : On peut s’aventurer à cette lecture, mais à mes yeux le transfert n’est pas aussi évident. Wu Fei n’est pas un père de substitution pour Chinaman. Il est plutôt une sorte de maître, une image distante et froide de l’autorité. L’image du père qu’a conservée Chinaman est celle d’un homme honnête, usé par le travail et par le remords, à qui il doit rendre son honneur dérobé.
La dépression le guette !
T : Oui, il va traverser une période de crise, de totale remise en question. Il va devoir trouver sa propre voie et faire la part de ce qui est bon dans les deux cultures. Chinaman va apprendre la solitude et devra aller au-devant des autres pour se faire une place dans ce nouveau pays.
LT : Vu son caractère, cela nous laisse encore quelques joyeuses équipées à raconter.
En lisant Chinaman, on ne peut s’empêcher de penser à la série TV Kung Fu.
T : Je ne peux nier que cette série, ainsi que le film Soleil rouge, m’a profondément marqué. Chinaman est également un hommage au cinéma d’arts martiaux de Hong Kong. J’ai adoré les films des réalisateurs hong-kongais tels que Chang Cheh ou bien Tsui, Mark. On trouve là des univers pleins de fureur et d’énergie, mais aussi de grâce. Les scènes de combat sont magnifiquement chorégraphiées.
CF & BPY
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