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Interview

Rodolphe, un gentleman scénariste

C’est avec une maîtrise de lettres en poche que Rodolphe se lance dans l’enseignement. Pas pour longtemps : attiré par le livre et l’écriture, il devient libraire puis scénariste de bande dessinée à partir des années 70. Sa connaissance du métier l’amène simultanément à collaborer à de nombreux magazines en tant que scénariste et rédacteur (Pilote, Charlie Mensuel, (A Suivre), La Lettre, Metal Hurlant, Circus, Chic, etc.) et à intervenir comme consultant pour plusieurs festivals, devenant ainsi un observateur avisé de notre métier.

Votre première rencontre avec Jacques Lob a-t-elle été décisive ?
La première et les suivantes ! Oui, aucun doute que son attention, son estime, ses encouragements et son amitié n’aient représenté pour moi, pour ma réalisation tant professionnelle et qu’humaine, des facteurs décisifs.

Premier scénario écrit pour… ?
Floc’h. Une histoire de 8 pages en N&B, Le Conservateur, publiée dans le n° 1 d’Imagine, en 1975.

Vous avez rejoint rapidement l’équipe de Pilote. Comment cela s’est-il
passé ?

Là encore, via l’excellent Jacques ! Il n’a eu de cesse de me faire rencontrer ses amis : Druillet, Gigi, Forest, Alexis, Annie Goetzinger… Pilote, à l’époque, était le fief d’un autre de ses amis, un certain Guy Vidal…

Votre participation à d’autres magazines majeurs correspond à une période - années 70 ou 80 - où la bande dessinée a énormément évolué. Que retenez-vous de cette période ?
Des souvenirs, heureux pour la plupart : ceux de comités de rédaction à Metal, de grandes fêtes chez Philippe Druillet, de joyeuses beuveries lors des premiers Festivals. Le bonheur de voir ses histoires figurer au sommaire de Pilote ou de Circus, de voir paraître ses tout premiers albums (N&B), de se découvrir de talentueux coauteurs, de voir ceux-ci se transformer en amis.

La disparition de la plupart des titres de presse au “bénéfice“ des albums est-elle à vos yeux un phénomène inquiétant ou plutôt une évolution logique ?
Et si l’évolution était tout à la fois logique et inquiétante ?
Dommageable pour les auteurs, en tout cas, ça c’est sûr ! Mais ils ont - nous avons - nous-mêmes hâté le mouvement en privilégiant outre mesure l’importance de l’album ! Comme tout le monde - auteurs, éditeurs, lecteurs - semblait ne plus jurer que par lui, quoi d’étonnant que les revues se soient portées mal puis soient mortes ? On ne pouvait raisonnablement pas demander au public d’acheter deux fois la même chose, même si auteurs et éditeurs trouvaient ça plutôt chouette de passer deux fois à la caisse pour le même job !
Une fois les journaux disparus, certains se sont réveillés. On
a entendu des “Comment on fait si on a plus la carte de presse ?” et encore des “Comment font les jeunes auteurs, maintenant pour faire leurs premières armes ?” Mais bien sûr, c’était
trop tard.

Ce travail d’équipe au sein d’une rédaction, vous le poursuivez aujourd’hui en intervenant pour des festivals ?
Sans doute, j’ai besoin de sortir de chez moi, de travailler en équipe sur des projets communs. Mon interlocuteur privilégié, que je retrouve chaque matin, par la fenêtre de mon atelier, c’est le mur de mon voisin. Un joli mur de brique, sympathique quoique peu locace, en vérité ! Toutes les occasions de lui fausser compagnie et d’aller voir comment c’est de travailler ailleurs, sont les bienvenues…

Revenons à votre travail de scénariste et, notamment, à votre goût manifeste pour la littérature policière à connotation fantastique qui se retrouve dans plusieurs de vos scénarios : L’Homme au Bigos avec Jacques Ferrandez, en est un bel exemple…
C’était là un hommage appuyé aux feuilletons des années d’avant guerre, façon Belphégor, ainsi qu’à la bande dessinée belge de la grande époque : Tintin, Blake et Mortimer, Gil Jourdan, Tif et Tondu… Plus tard, Les Enquêtes du commissaire Raffini ont abandonné ce ton un peu hystérique et grand-guignolesque pour se recentrer sur la psychologie des personnages et l’atmosphère des lieux…

Cette série a été publiée la première fois dans Telerama. Pourquoi ?
C’est aux rédacteurs de l’époque qu’il faudrait poser la question. Nous, on avait signé avec les Humanos. Ce sont les gens de Telerama qui, en faisant le tour des éditeurs de bande dessinée, ont eu le coup de foudre pour notre histoire, et qui ont décidé d’en faire leur feuilleton de l’été.

Un point commun entre Raffini, Taï-Dor, Les Ecluses du ciel ou Cliff Burton : la reprise de la série par un autre dessinateur. Pour une série, cela n’est-il pas finalement pénalisant ?
Certes. Mais le plus pénalisant pour une série, n’est-ce pas encore qu’elle s’arrête ? L’époque où le même dessinateur animait la même série sur un demi-siècle et 50 albums, semble être révolue, et je ne saurais les blâmer d’avoir envie d’aller respirer ailleurs. Toutefois quand je me prends d’amour pour un personnage, c’est si douloureux de le voir s’étioler dans les mémoires et mourir…

Ebéroni, Juillard, Rouge, Ferrandez, Picotto, Cordonnier, Goetzinger, Coutelis, Durand, Cossu, Buffin, Maucler, Allot, Alloing, Marc-Rénier, Capo, Magnin, Serrano, Garcia, Boëm, Léo, Mounier, Scheuer, Tournadre, Marcelé, Parras, Bignon… La liste des auteurs avec lesquels vous avez travaillé est tout simplement impressionnante !…
Beaucoup de choses me donnent le vertige, mais ça non. Et puis il importerait de remettre les choses dans leur juste perspective, et de redistribuer ces collaborations sur près (hum…) d’un quart de siècle !

Avec quel autre dessinateur auriez-vous aimé collaborer ?
Alexis.

Y a-t-il un album, une série, auquel vous êtes particulièrement attaché ?
Le prochain. Toujours.

Parlons un peu de votre actualité. Le tome 3 du Blaireau est paru en juin chez Dargaud. Mais un autre album avec Boëm est annoncé ?
Oui. Pour la fin de l’année, aux éditions Le Cycliste. Il s’agit d’une reprise de l’ensemble des histoires courtes (N&B, tramées) consacrées au personnage de Joyeux, publiées dans Pilote, dans les dernières années de son existence. Il y aura également, réalisée spécialement pour l’album, une histoire inédite de 8 pages.

En septembre paraîtra Les Quatre Morts de Betty Page, chez P&T Productions, avec un autre de vos complices, Alain Bignon…
En effet. Cela fait longtemps que nous nous connaissons Alain et moi, mais nous n’avions à ce jour collaboré que sur de courtes histoires, notamment pour les numéros spéciaux de Circus. Cette fois-ci, c’est un véritable “long-métrage” puisque l’album fait 82 planches ! Quant au sujet, disons que c’est un polar très “fiveties”, mettant en scène la célèbre Betty Page (dans son propre rôle) et trois de ses sosies retrouvées mochement assassinées…

En juin, est sorti le tome 7 de Trent avec Léo. Un western humain et attachant. Comment vous est venue la création de ce personnage atypique ?
Directement de mes lectures d’enfant. Féminore Cooper, Jack London et surtout James Oliver Curwood, un écrivain injustement méconnu en France, dont j’ai dévoré tous les romans et dont les évocations du “grand nord sauvage ” m’ont littéralement “ habité ”. Pour le reste Trent est un personnage comme je les conçois, comme je les ressens, comme je les apprécie : plein de fragilité et de doutes, de blessures et de peurs, mais qui néanmoins fait ce qu’il doit faire quand il le faut ! On peut juste lui reprocher de manquer un peu de liberté, d’humour et de laisser-aller. Mais, bah, n’est pas Le Blaireau qui veut !…

Un album de Taï-Dor paraîtra à la rentrée, coscénarisé par Serge Le Tendre…
En principe… Cela fait déjà trois ou quatre fois qu’il est programmé et déprogrammé ! Laurent Galmot (notre éditeur chez Vents d’Ouest) commence à s’en arracher les cheveux, et Serge et moi, nous finissons par être un peu démotivés ! Luc Foccroulle, le dessinateur est un garçon aussi gentil que talentueux, mais le doute le ronge… Sans cesse il se remet en cause, abandonne, déchire, recommence… Deux ans pour que Les Monstres (8e volume de la série) voit le jour, c’est un peu long, non ?

A propos de Le Tendre, vous avez coscénarisé une histoire pour Labiano, qui devrait paraître d’ici quelques mois…
Plutôt quelques trimestres ! Là encore les choses ne vont pas vite. Non pas que Hugues Labiano soit lent, mais il mène en parallèle la série Dixie Road avec Dufaux, et notre Mister Georges (prévu au Lombard dans la collection “Troisième Vague”) est sans cesse repoussé. Là encore, il faut être patient…

La Marque de Jeffrey, en octobre, clôturera le cycle de Dock 21 réalisé avec Mounier. Comment définiriez-vous cette série ?
Un journaliste a eu la gentillesse de présenter la série comme un X Files avant l’heure. C’est un peu ça, en effet. Un croisement de thriller et de fantastique, de modernité et d’ésotérisme… Un truc qui doit prendre le lecteur, le saisir et ne plus le lâcher ! La Marque de Jefffey clôt en effet un cycle de 5 albums, mais je me demande si l’histoire ne peut pas rebondir et donner lieu à un second cycle. Comme vous le savez, j’ai du mal à abandonner mes personnages…

Vous avez aussi un projet d’album avec Ferrandez sur les années 50 et 60…
Jacques est un complice et un vieil ami (on a signé une dizaine d’albums ensemble !) et j’ai grand plaisir à retravailler avec lui. Comme avec André Juillard, avec lequel on envisage une nouvelle collaboration façon Le Tonquinois ; comme avec Michel Rouge avec lequel on pense donner vie à un cycle d’albums préludant l’univers des Ecluses du ciel ! En ce qui concerne notre projet avec Jacques Ferrandez, il ne s’agit pas d’un album, mais d’un livre illustré, mariant humour et nostalgie, et consacré aux principales marques, sigles et labels des années 50 et 60, tels qu’ils fleurissaient sur les murs de nos villes, dans les publicités des magazines, tels qu’ils marquaient l’imaginaire des gosses d’antan, futurs vieux machins d’aujourd’hui, façon votre serviteur ! Ah, j’oubliais : le livre devrait paraître en octobre chez l’éditeur grenoblois Mosquito.

Rodolphe, quelle est votre devise ?
Durer.

FLB

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