Il aura fallu neuf ans pour que la suite à L’Ami Javin, qui débute le “cycle d’Avant La Quête”, connaisse enfin une actualité en librairie… Aux manettes de cet album attendu (euphémisme), un triumvirat composé de Régis Loisel, Serge Le Tendre (les deux créateurs de la série) et Mohamed Aouamri qui succède à Dominique Lidwine sur le dessin. Explications à trois…
Première rencontre
Il se dit que c'est en découvrant des illustrations d'Aouamri lors d'une exposition que, Régis, tu as eu l'envie de lui demander un essai sur La Quête. Info ou intox ?
Régis Loisel : Info ! C’était lors du festival de Perros-Guirec et c’est en tombant sur deux planches de Mohamed, extraites de sa série Mortepierre (1), que j’ai pensé à lui pour La Quête. Comme il dédicaçait, je lui ai demandé à brûle pourpoint “ça te dirait de travailler sur la suite sur La Quête ?”, ce à quoi sa réponse fut à peu près “euh, tu déconnes ou quoi ?” (rires). Bien sûr j’en ai parlé à Serge qui était d’accord pour qu’on lui demande un essai. C’est comme ça que tout a démarré.
Mohamed, tu as succédé à Lidwine sur la suite de L'Ami Javin qui fait partie du "Cycle d'Avant". On peut penser que cette reprise a nécessité pas mal de travail pour trouver tes marques au départ ?
Mohamed Aouamri : Le travail de Lidwine sur L’Ami Javin est tout simplement somptueux. Ajoutez à cela l’aspect culte et l’aura de la série, vous comprenez vite que si on veut être un minimum dans la continuité, c’est une montagne de travail qu’il vous faut pour assurer… malgré le doute permanent !
Culte
On dit souvent que La Quête est une série culte. C'est d'autant plus fort qu'elle ne compte que cinq albums à ce jour !
SLT : Série culte… Comment expliquer ? Peut-être que Régis et moi, on était au bon endroit, au bon moment ? Peut-être même que, autrement, ça ne se serait jamais fait ? Peut-être aussi que je me pose pas la question parce que ça changera rien ?
Plus sérieusement, j'ajoute que ceux qui ont fait notre meilleure “publicité”, ça reste les lecteurs. C'est à eux - et aux libraires aussi - que La Quête doit sa réputation. S’ils nous restent fidèles et s’ ils continuent encore de longues, très looongues années à contaminer leurs enfants et tous leurs petits-enfants, alors là, c'est possible que La Quête s'installe durablement. Mais bon. On en reparle dans un siècle ou deux ?… Trois ? D'accord.
RL : Je suis d’accord avec Serge ! En fait au départ nous sommes arrivés à un moment où il n’y avait pas grand chose en héroïc fantasy mais ça tient aussi au fait que nous y avons mis toute notre énergie et nos envies. C’est une alchimie particulière qui fait que, dans La Quête, il y a autant d’humour que de moments dramatiques ; on travaille beaucoup sur les sentiments et on s’attarde plus sur les faiblesses des personnages que sur leurs qualités, ça les rend plus humain, plus réel. Le succès est arrivé et, comme le dit Serge, on le doit aux lecteurs et aux libraires mais c’est un fait que La Quête est venue en résonance au public. Ce qu’il y a d’amusant c’est de constater que des lecteurs ne connaissent pas toujours la série parmi les plus jeunes d’entre eux qui ont plutôt connu Lanfeust de Troy qui est pourtant arrivé après… mais avec plus de régularité !
Avez-vous conscience d'avoir influencé toute une génération d'auteurs, au point de faire de l'héroïc fantasy un genre qualifié de mainstream en bande dessinée ?
RL : On est tous influencés par quelque chose, moi le premier : par Walt Disney, Moebius, Uderzo, Morris… Ce sont des gens que je vénère et il y a forcément eu une influence dans mon travail, inconsciente ou pas d’ailleurs. À propos de l’heroïc fantasy, il faut préciser que, dans l’absolu, ce genre ne nous intéressait pas plus que ça et on en a justement fait quelque chose d’autre, sans trop se prendre au sérieux, et c’est devenu La Quête de l’oiseau du temps…
SLT : Toute une génération ? Faut pas exagérer !.. Et puis, on a passé la main depuis. D'autres auteurs ont pris le relais. D'autres modes aussi. C'est cyclique. Comme la minijupe et les chansons des Beatles !
Secrets de fabrication
Mohamed, au départ, tu te lançais sur des planches dont le crayonné était incroyablement poussé ! Une façon de te rassurer ?
MA : C’est vrai que c’est rassurant. Le seul “hic” c’est quand il s’agit d’encrer car vous perdez certaines subtilités du crayonné, peaufiné parfois à l’extrême. Désormais je crayonne juste ce qu’il faut pour me laisser une marge de réinterprétation à l’encrage ; une méthode qui me permet aussi d’avoir à l’esprit et sur le papier un dessin plus “frais”.
Le découpage fourni par Régis t'a permis d'avancer avec plus de repères et de te concentrer sur le dessin. Mais le temps a passé et au final on sent que ce fut un vrai marathon graphique, d'autant que l'album fait 64 planches...
MA : Sur la première moitié de l’album, Régis et moi avions fait un survol du scénario qui s’est traduit par des petits croquis de la taille d’une carte postale, ce qui me semblait suffisant pour travailler et garder une grande liberté de création. Comme son atelier était en travaux, nous dessinions au gré des terrasses ensoleillées, un pichet de bière ou une cafetière à portée de main. Les 30 dernières planches se sont faites avec plus de confort du fait d’un découpage nettement plus poussé : j’ai alors travaillé plus rapidement ! C’est une expérience enrichissante pour la suite…
La narration, la compréhension : pour toi qui est co-scénariste, Serge, on sent que cette question est essentielle à tes yeux...
SLT : Primordiale. Elles le sont autant pour Régis que pour moi. Mais elles ne sont qu'un véhicule. Sans rien à dire, sans émotions à raconter, elles ne sont qu'une coquille vide... un effet.
Les rustines - c'est à dire les corrections de dessin sur la planche – ont été nombreuses, n'est-ce pas finalement la partie la plus ingrate pour un dessinateur ?
RL : Oui et c’est pourtant la plus satisfaisante dans le sens où, au moment où tu réalises ces corrections, tu ne peux pas t’empêcher de penser “ouf, heureusement que ce dessin a été corrigé !”. Pour un dessinateur, pour peu qu’il soit vigilant, c’est une étape fastidieuse mais nécessaire ; ça peut être un visage, une perspective, un élément de décor, mais il faut le faire. On a réalisé pas mal de rustines sur cet album avec Mohamed, le but n’était pas qu’il fasse du Loisel, c’était qu’il se transcende lui-même en tant que dessinateur. L’autre difficulté dans le cas de cette série était qu’il fallait respecter les codes de La Quête et, quelques fois, Mohamed s’en écartait. Cela ne voulait pas dire que son dessin n’était pas bon mais qu’ il n’était plus dans l’esprit de La Quête C’est compliqué mais c’était aussi mon rôle que de l’amener à respecter cette cohérence graphique propre à la série.
Le coloriste, François Lapierre, a travaillé sur l'album, pour lui aussi ce fut un baptême du feu sur la série...
SLT : Il en a bavé. La pression, les délais, les repentirs, l'éloignement, les autres albums en chantier, rien ne lui aura été épargné... il a terminé sur les rotules mais comme un chef. Un grand coup de chapeau à l'artiste !
RL : Oui, il a fait un gros travail, ce n’était pas évident de prendre le relais d’autant que ses précédentes mises en couleurs sur Magasin Général ou Le Grand Mort (2) étaient dans des gammes différentes. Lui aussi a réussi à s’approprier l’esprit de la série.
Même question à vous trois : quel est le personnage pour lequel vous avez le plus d’affection dans Le Grimoire des Dieux ?
SLT : Le couple Bragon/Mara... Indissociables... éloignés l'un de l'autre ou proches... ils restent toujours là, liés par la tragédie de leur destin. On les suit... on les découvre... et on sait comment tout ça va finir mais on ne peut pas s'empêcher d'espérer pour eux un autre destin...
hélas, mille fois hélas... tout est déjà écrit.
RL : Dans cet album là, c’est effectivement le couple Bragon/Mara qui sort du lot. À titre personnel j’ai un petit faible pour Bragon parce qu’il est tout sauf un héros, il fait ce qu’il peut. En même temps il se laisse aller, il apprend à boire ou à baiser mais aussi à se battre et on se doute bien que ça lui sera utile plus tard !
Et après ?
La question est inévitable : il a fallu attendre 9 ans pour avoir cette suite à L'Ami Javin mais on peut d'ores et déjà dire que la suite arrivera plus rapidement.
SLT : On n’attendra pas de passer un autre siècle, ça, c'est sûr. On a enfermé Vincent Mallié, qui travaille sur les deux prochains albums en parallèle à Mohamed, dans un cul de basse-fosse et j'ai jeté la clé ! Il a déjà avancé sur plus d'une vingtaine de planches. Encore une petite dizaine livrée et il aura le droit de voir sa famille pendant un demi-heure (rires) ! On a compris la leçon ! Un album tous les deux ans ou rien !
RL : Un siècle, c’est un peu long, nous sommes d’accord ! Vincent avance vraiment bien sur les deux albums à venir avec ses qualités propres. Nous avons tous, dessinateurs, nos limites mais aussi nos qualités et c’est amusant de voir que, par exemple, Mohamed est très fort sur les personnages : il arrive à leur donner cette vie, une forme de générosité alliée à un sens du mouvement. Vincent s’épanouit plus dans les décors avec un trait d’une grande finesse et il progresse sans cesse. Mais dans les deux cas on reste dans La Quête, ça je n’en démords pas, je reste le gardien du temple !
L'ombre du Rige plane dans Le Grimoire des dieux, on peut supposer que ce personnage sera au centre du prochain album ?
SLT : L'Ombre du Rige, tiens, tiens, voilà qui ferait un beau titre. On peut le garder ?
François Le Bescond
(1) chez Soleil (2) chez Casterman et Vents d’Ouest
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