Sa force graphique s’est jusqu’à présent affirmée, de manière “comique” dans Fluide Glacial. Sa face noire, il l’a montrée dans des travaux plus personnels (Presque). Avec Lazaar (collection “Poisson Pilote”) qui sort en juin, Larcenet fait une synthèse sidérante.
Début de l’interview. Je te tends un miroir. Peux-tu t’y dessiner tel que tu t’y vois ?
Quels sont tes maîtres en BD ?
Mes maîtres en bandes dessinées… Ben c’est-à-dire qu’ils sont quand même très nombreux mais on peut dire que ça a commencé avec Lambil et Cauvin, puis Conrad, Vuillemin, F’Murrr et plus récemment Goossens, Blutch, Muñoz… Mais Lewis Trondheim, Tardi, David B, Christophe Blain sont des gens dont le travail me fascine pour diverses raisons…
Je sais ton admiration pour F’Murrr. Pourquoi ?
J’ai découvert F’Murrr vers 12 ou 13 ans. Son travail a été une vraie révélation, même si je n’avais pas la culture nécessaire pour tout piger (Je ne l’ai toujours pas, d’ailleurs !). Il m’a montré qu’on pouvait développer un univers humoristique très éloigné de l’école Spirou qui était alors ma référence. Encore aujourd’hui, il est impressionnant parce qu’il est drôle, absurde et surtout énigmatique.
Tu dessinerais un mouton en hommage au prince des Alpages ?
(dessin ci-dessus)
Sais-tu que le “prince des Alpages” déjà mentionné a un sacré caractère ?
On m’a dit, oui, mais je me méfie parce que, dans le micro-monde de l’édition de bandes dessinées, on a vite fait de cataloguer certains auteurs comme “emmerdeurs”, simplement parce qu’ils ont des exigences légitimes…
Toi-même, on dit que du côté caractère… On le dit, oui…
Mais c’est aussi parce qu’à force de se faire enculer, on devient vite méfiant.
Quel est l’aspect de la BD que tu détestes ?
Je commence à être saoulé par les rivalités entre éditeurs, et aussi par l’énorme hypocrisie qui consiste à faire croire aux auteurs qu’ils sont des stars, de les caresser, de les dorloter dans le but à peine voilé de mieux les niquer.
Es-tu un grand lecteur ?
Pendant très longtemps, je n’ai lu que de la bande dessinée, ce qui a contribué en partie à mon inculture notoire. Mais depuis que je dessine de manière professionnelle, je reprends goût à la lecture des livres sans images. Je viens, à 30 ans, de découvrir Baudelaire et surtout Céline… J’ai beaucoup de retard à rattraper.
Et côté musique ?
J’ai toujours écouté de la musique ; j’en ai même fait pendant une petite dizaine d’années. J’ai été formé à l’école du rock français (Bérurier Noir, la Mano Negra, Ludwig Von 88, Kortatu, etc.) pour dériver petit à petit sur le punk rock américain (Bad Religion, Nofx etc.). J’aime surtout les groupes à textes, qu’ils soient revendicatifs, poétiques ou comiques. J’admire vraiment un mec comme Manu Chao, il mène son travail à coups de cœur et de gueule. C’est exactement comme ça que je veux faire mon métier.
T’évader. Tu le fais comment. Alcool ? Drogue ? Contemplation de la lune sur les rives du lac du Bourget ?
Je ne bois pas d’alcool, mais je fume régulièrement, ce qui est d’une banalité sans nom. Non, les moments de repos sont surtout les jeux vidéo avec mes amis… Et puis aussi jouer avec mon chat qui est fou.
Ton regard sur le monde professionnel de la BD/auteurs/éditeurs/lecteurs ?
J’ai été passionné par ce monde-là pendant mes deux ou trois premières années en tant que professionnel, puis ça m’a soudain dégoûté. Tout est faussé.
- Le rapport avec les lecteurs n’est souvent pas sain parce que je ne peux pas supporter qu’on me voie comme une référence.
- Le rapport avec les éditeurs est étrange et souvent plein de sous-entendus parce que je ne sais jamais vraiment ce qu’ils pensent.
- Les rapports entre auteurs sont fluctuants. Je suis souvent surpris par l’écart qu’il peut y avoir entre un travail que je trouve admirable et la personnalité parfois détestable de son auteur.
En gros, j’ai maintenant envie de faire des livres et pas plus.
Comment sont nés Lazarr et l’idée des Entremondes ?
Lazarr est né à la suite des Cosmonautes, écrit par Lewis. Je voulais faire un album en couleurs de 46 pages en écrivant moi-même les dialogues et le découpage. Je ne savais pas trop comment débuter, comment créer un univers. Je savais de quoi je voulais parler, mais je n’arrivais pas à le mettre en forme. C’est là que j’ai appelé mon frère, Patrice à la rescousse. Il écrit beaucoup de jeux de rôle. Il a un univers fantasmatique puissant et il réussit très bien à me le communiquer quand on joue. Je lui ai donc tout naturellement soumis l’idée de base de Lazarr et lui ai demandé d’écrire la trame de l’histoire avec moi. On a discuté quelques heures, laissé reposer quelques semaines, puis il est revenu me voir avec un synopsis qui m’a enchanté. Je n’ai fait que le réécrire en langage bande dessinée. D’ailleurs, le second tome des Entremondes sera basé sur un jeu de rôles qu’il a déjà écrit.
La mise en couleur ?
La mise en couleur est de David Deth, dessinateur des Zorilles dans Spirou. J’avais déjà repéré ses couleurs depuis un petit moment et donc je l’ai appelé et, à ma grande joie, il a accepté. Il m’a surpris, en mettant des ambiances auxquelles je ne m’attendais absolument pas et qui étoffaient le dessin. Je suis nul en couleurs et j’ai le plus grand respect pour ceux qui savent les manier. J’avais déjà été ravi par les couleurs qu’avait faites Brigitte Findakly pour Les Cosmonautes, et avec David, ça a été une nouvelle découverte.
Patrick Cauvin, qui en parle dans les pages Lectures de cette même Lettre, m’a dit avoir eu “presque peur” à un moment donné en lisant Les Cosmonautes du futur. Tu comprends ça ?
Oui. Lewis m’a aussi fait peur à un moment du livre… Mais je ne dis pas où. Il faut le lire pour savoir.
Ta collaboration avec Lewis (Trondheim) ?
Ben avec Lewis, ça a été et c’est encore une vraie pure joie. D’abord parce que j’aime vraiment beaucoup son travail, et puis parce que, comme il m’a faxé les pages des Cosmonautes une à une, j’ai pu dessiner ce livre en le découvrant petit à petit, comme un lecteur. Et puis c’est quelqu’un qui a aussi une réputation genre mauvais caractère alors qu’il est tout simplement exigeant et attentionné. Mais c’est vrai que je ne peux pas m’empêcher de penser que s’il avait dessiné cet album, il aurait probablement été meilleur. J’aime son dessin.
Tu sembles avoir horreur de la foule, des mondanités.
C’est purement instinctif. Il faut savoir que pendant longtemps, mon milieu a été la rue. On y chope des automatismes et des habitudes qui sont difficilement compatibles avec les mondanités. Et puis je ne considère pas que boire du champagne du bout des lèvres en s’auto-congratulant avec emphase fasse partie de mon travail. C’est en partie pour cela que je ne fais plus de festivals ou de trucs dans le genre. Je suis auteur, pas clown.
Quel est le danger qui te menace le plus souvent ?
Le désespoir et la fatigue mentale.
Tes rasades de joie, tu les trouves où ?
Les jeux vidéo avec les amis. Mon chat. La confiance des gens que j’admire. Un dessin réussi de temps en temps. Lire un livre comme L’Ascension du Haut-Mal ou Le Réducteur de vitesse. La finale Bayern/Manchester et, le quart de finale Lens/Celta Vigo. La découverte de Céline.
Tes réactions quand on te parle de ce que tu fais ?
La gêne.
On se connaît peu… a) Je te vois comme un sauvage… tendre ? Vrai ? Faux ?
Je ne peux pas répondre à ça.
b) Est-ce que tu trouves ça répugnant comme question ?
Pas du tout. Mais c’est une affaire entre toi et moi.
Fin de l’interview. Je te tends à nouveau le miroir. Tu t’y vois comment ?
Guy Vidal
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