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E. Stalner : "Je suis assez classique comme garçon !"

Une saga familiale à la rentrée. Voilà ce que nous proposent Éric Stalner et Pierre Boisserie avec La Croix de Cazenac (Dargaud). Une nouvelle histoire de famille dans tous les sens du terme puisque Éric réalise cette série sans Jean-Marc, son frère, avec lequel il poursuit toutefois Le Fer et le Feu chez Glénat. En attendant plusieurs autres surprises…

En racontant l’histoire de cette famille, aviez-vous en tête d’autres sagas familiales comme Les Maîtres de l’orge ?
Non, pas précisément. Le point de départ pour Pierre (Boisserie, le coscénariste) et moi, c’était 14-18. On voulait simplement raconter une histoire à travers la guerre. Tardi l’a suffisamment bien montré. Ce serait audacieux de chercher à faire mieux. La toile de fond c’est cette période dure, tranchante, sans pitié, et ce sont trois hommes, un père et deux fils avec un secret, un héritage et aussi un travail : espion de père en fils depuis Napoléon Ier. Alors c’est sûr, c’est une histoire familiale. Le Fer et le Feu aussi.

Les Cazenac sont plongés en pleine guerre et, comme d’autres, ils lui paient un lourd tribut. Mais n’est-ce pas pour autant une histoire de manipulation plutôt qu’un récit de guerre ?
14-18, c’est un grand bouleversement. L’horreur qui s’abat comme la peste et qui dévaste toute la jeunesse européenne. Nous ne sommes pas historiens, des centaines de bouquins ont été écrits sur le sujet. Ce qui nous intéresse dans La Croix de Cazenac ce sont les rapports humains et aussi le mystère qui traverse toute cette histoire et qui fini par prendre plus d’importance pour les protagonistes que la guerre elle-même. C’est effectivement une histoire de manipulation, d’espionnage, mais aussi une histoire d’amour entre des personnages vivants et d’autres disparus depuis longtemps.

A la lecture de ce premier album, on découvre que le "candide" de la famille aura un rôle déterminant, se découvrant un tempérament insoupçonné…
C’est vrai, au début Étienne, jeune séminariste a sa voie toute tracée. Il a des vérités toutes faites, des certitudes comme on peut en avoir à son âge et dans sa condition. Et puis tout bascule et il se rend compte que la vie, ou plutôt sa vie, c’est autre chose.

Comme le laisse entendre la couverture, le personnage féminin (Louise) a un rôle clé dans cette histoire.
Je n’en ai pas encore parlé, mais c’est exact. Comme souvent la femme agit comme un révélateur, comme un élément déterminant dans une histoire. Dans Cazenac, elle n’est pas, à proprement parler, l’héroïne, mais sans elle, rien n’est possible. En plus, c’est un personnage double, ambigu dans ses relations amoureuses comme dans son engagement. L’image de Mata Hari n’est pas si éloignée !

Vous faites référence à l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand dans les Balkans, point de départ du premier conflit mondial et de votre histoire. Comment avez-vous réagi en voyant les récents événements tragiques survenus dans les Balkans ?
J’ai réagi comme beaucoup de gens. Un sentiment mélangé de tristesse, de crainte et d’incompréhension. On entend beaucoup en ce moment à la radio (un dessinateur de BD vit beaucoup avec la radio !) des gens sentencieux qui ont tout compris et qui nous expliquent tout sur tout. Moi, je ne sais pas, je suis partagé. La seule chose que je vois, ce sont des gens qui souffrent. Il doit bien y avoir une sacrée dose de violence profondément enfouie dans la nature humaine.

Combien de volumes prévoyez-vous ?
L’histoire se conclut avec le troisième volume. Mais nous avons envie de continuer avec les personnages sur d’autres aventures. Nous avons en tête plein de rebondissements possibles et, comme nous sommes déjà vraiment attachés au climat, au style de Cazenac, cela durera peut-être (sûrement) un peu.

Un mot sur Pierre Boisserie avec qui vous avez écrit La Croix de Cazenac ?
C’est une rencontre. Nous nous connaissons depuis peu et, même si nous sommes très différents de tempérament, nous partageons plein d’idées. Nous nous sommes rencontrés sur un festival (il co-organise le festival de Buc près de Versailles début octobre) et nous avons rapidement sympathisé. L’idée de travailler avec lui s’est imposée à moi petit à petit. Il me montrait des scénarios qu’il avait écrits et je les trouvais toujours intéressants. Un jour, nous avons décidé de faire quelque chose ensemble et voilà ! Nos différences s’accordent bien, je crois.

Vous avez attaché beaucoup d’importance à une autre facette de l'album : la couleur signée Isabelle Merlet…
Ahhh, la couleur ! C’est un souci, je suis bien placé pour en parler. C’est vraiment délicat, difficile même. Le métier de coloriste est peu reconnu, je trouve, alors que cela prend de plus en plus d’importance. Les lecteurs sont plus exigeants qu’avant sur la qualité d’un album, au niveau de l’histoire, du dessin, mais aussi de la couleur. Une mauvaise couleur peut tuer une histoire, j’en sais quelque chose. À mon avis, les coloristes sont des auteurs à part entière et ils devraient être reconnus comme tels. Ils apportent une part importante dans la réussite d’une BD. Je parle principalement des histoires réalistes dans lesquelles faire passer l’émotion, la vie, les sentiments est une vraie difficulté. Le choix des couleurs comme la technique doivent être impeccables. Isabelle a fait un travail vraiment formidable sur Cazenac. Elle est exigeante et elle a raison. Pour moi, dans cette série, nous sommes trois : Pierre, Isabelle et moi. Je trouveraiss normal que son nom figure sur la couverture de l’album.

Une autre histoire de frères, la vôtre, Jean-Marc, partant vers d’autres aventures…
Oui, c’est une bonne chose, je crois. Nous avons travaillé dix années ensemble et maintenant, nous avons des envies un peu différentes. Cela me donne un peu le sentiment d’être toujours un auteur débutant. Mais nous continuons toujours ensemble Le Fer et le Feu.

Cette série s’inscrit, tout comme Fabien M, dans un registre dit d’aventure réaliste. Acceptez-vous cette étiquette d’auteur "classique" ou cela vous semble-t-il sans signification ?
A quarante ans, j’ai un peu fait le tour de moi-même, je connais les bons et les mauvais côtés du bonhomme. On peut dire que je suis assez classique comme garçon ! Dans le dessin, je dois l’être aussi, même si, parfois, j’ai des envies un peu différentes. Au niveau de mes goûts, je suis assez éclectique. Cela dit, les classifications sont faites pour être bousculées et les étiquettes pour être changées.

Quelques mots sur vos prochains projets ?
Dargaud publiera dans les mois qui viennent une nouvelle série que j’ai, là encore, coécrite avec Pierre Boisserie, mais qui sera dessinée par un nouveau prodige du dessin qui vient de l’animation. Ce sera un western fantastique qui devrait paraître sous le nom de Julius B. J’ai aussi un projet – plus qu’un projet – chez Glénat : le Roman de Malemort. Je fais le scénario et le dessin tout seul, et Jean-Jacques Chagnaud est le coauteur coloriste. Lui aussi fait un formidable boulot : comme dans Le Fer et le Feu ! Mieux même peut-être car l’histoire permet plus de liberté. J’ai d’ailleurs moi aussi pris beaucoup de plaisir à la faire. Plaisir. Voilà, plaisir, c’est le mot de la fin, je crois que c’est celui qu’on doit retenir.

F.L.B.

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