Baraka à Bir Hakeim, le troisième tome de Poison Ivy, nous donne l’occasion de parler avec ses auteurs : Yann, le scénariste, et Philippe Berthet, le dessinateur.
Le point de départ de la série, c’est de donner vie au personnage de Poison Ivy, qui apparaissait en strip dans Pin-up ?
Philippe Berthet : Nous nous demandions, Yann et moi, comment donner une nouvelle énergie à la série Pin-up. J’avais pensé faire une série parallèle qui mettrait en scène ce personnage de Poison Ivy. Pin-up n’est pas finie mais on avait envie de prendre un chemin plus ludique. L’idée, c’est d’alterner avec une série plus légère, humoristique, plus caricaturale, qui soit liée à Pin-up mais qui soit une sorte de dérivatif pour nous. On n’a pas envie de ne faire que du sérieux et du glamour comme on l’a fait jusqu’à présent ! (Sourire.) C’était amusant de plonger dans ce personnage de BD et de lui imaginer un passé, de lui donner une nouvelle existence.
Poison Ivy, c’est votre “drôle de dame” à vous ?
P. B. : Yann a commencé à réfléchir au sujet et c’est lui qui est arrivé à cette idée de personnages dotés de superpouvoirs. On avait envie de s’inscrire un peu plus dans l’esprit des comics américains des années 1950. On rejoint par là des feuilletons comme Drôles de Dames. Ici, c’est Roosevelt qui recrute les femmes dotées de superpouvoirs pour en faire une sorte de commando d’élite. Notre “Charlie” à nous ! (Rire.) D’entrée de jeu, Poison Ivy a un pouvoir puisque, déjà dans les strips, elle tuait en embrassant. Elle est vénéneuse.
Vous avez été influencé par l’american way of life ?
P. B. : Les polars noirs du cinéma des années 1950, je suis nourri de ça. Par le passé, j’ai exploité pas mal l’Amérique des années 1950-1960 à travers d’autres BD. Cela fait partie de ma culture visuelle, je me sens très à l’aise dans cet univers-là, même si je n’ai jamais mis les pieds aux États-Unis. (Sourire.) Je travaille beaucoup sur le fantasme des États-Unis.
Vous utilisez beaucoup Internet…
P. B. : Oui, ça a métamorphosé notre métier et je trouve une tonne d’infos sur la toile. Avant, je passais des journées entières à chercher des bouquins dans les librairies, on revenait parfois bredouilles. Si j’ai besoin d’un flingue ou d’une voiture, je cherche sur le Web et je trouve ce qu’il faut. Yann avait déjà une grosse documentation, notamment sur les Tigres volants, mais j’ai été plus loin dans la recherche. Je pouvais dessiner les avions sous toutes les coutures.
L’école franco-belge dénigre pas mal les comics américains alors que vous y faites référence…
P. B. : L’idée n’était pas de faire du sous-comics américains. On régurgite simplement nos lectures d’adolescents à travers cette BD destinée à un lectorat européen. On a joué avec un code archétypal : le principe du superpouvoir. À part dans Astérix, on ne le rencontre pas dans la BD franco-belge. Mais on a évité d’habiller notre héroïne d’un collant avec des couleurs flashy. Elle porte juste une salopette à l’entraînement ! (Sourire.) On a trouvé amusant, dans le deuxième tome, de déguiser les héroïnes en nonnes. Dans le troisième tome, elles se retrouvent dans le désert libyen et sont habillées en infirmières, volontaires de l’armée américaine pour aider les Français. Selon les missions qu’elles doivent accomplir, on leur donne un look différent. Ici, la toile de fond, c’est un convoi d’or convoité par les Allemands, les Américains, les Italiens, etc. Nos héroïnes sont chargées de l’intercepter pour embêter les Français.
Votre dessin est semi-réaliste…
P. B. : Il évolue au fur et à mesure des histoires à raconter, mais c’est volontaire. J’ai des codes humoristiques plus appuyés, à la fois dans l’expression et dans le maintien des personnages, sans tomber dans le “gros nez”. Il fallait rendre les personnages crédibles. La mise en couleur renforce aussi cet aspect-là. C’est difficile de transposer certains personnages réels, comme Roosevelt, en dessin humoristique : très vite, ils ne se ressemblent plus. Roosevelt est un peu hybride et je ne suis pas très à l’aise quand il apparaît dans les scènes. En plus, il est en fauteuil roulant, c’est compliqué.
Un mot sur le troisième tome…
P. B. : Clarté : je pensais naïvement que l’histoire, comme elle se déroulait dans le désert, allait être extrêmement rapide à réaliser, mais c’était difficile car il y a beaucoup de soldats, de véhicules différents, des chars, des camions. Il n’y avait pratiquement pas de décors, mais c’est l’aspect technique qui a demandé de l’attention.
Quel est le plaisir que vous avez pris avec Poison Ivy ?
Yann : C’est Philippe qui avait envie d’exploiter sa veine humoristique et il m’a suggéré cette idée. On avait déjà fait ensemble une petite adaptation de Captain America et on s’était bien amusés. C’est très agréable de travailler sur une héroïne qui a des superpouvoirs. Le dessin de Berthet est très drôle, pince-sans-rire, et il fait bien passer l’aspect excessif des gags. C’est un contraste idéal. Il y a un côté délirant dans le scénario qui est crédibilisé par le dessin. C’est du sur mesure, ça correspond à ce que j’attends. On aime mélanger des sources comiques.
Pourquoi un premier tome dans les bayous ?
Y. : J’ai inventé la jeunesse, le passé de Poison Ivy. Je suis passionné par les bayous, la Louisiane et surtout les Cajuns, et j’ai très vite démarré sur ce sujet-là, comme je le connais bien. J’ai beaucoup de documentation. Je n’ai jamais mis les pieds là-bas, je me contente de mettre du tabasco dans mes aliments… (Rire.)
Vous vous étiez mis des limites en développant le côté délirant du récit ?
Y. : Oui, on ne voulait pas de personnages qui puissent voler comme Superman ou Batman. Leurs pouvoirs sont à la limite de la parapsychologie.
Vous placez de “vrais” personnages ici et là : de Gaulle, Roosevelt…
Y. : C’est ma marque de fabrique, mon image de marque. J’ai toujours mis des Hitler, des Charles de Gaulle, ça m’amuse. Inclure des éléments réels crédibilise le scénario et permet d’ajouter des éléments complètement farfelus qui passent au milieu de tout ça comme si ça pouvait être vrai. J’aime mélanger le vrai et le faux.
Vous vous êtes beaucoup documenté sur l’armée américaine, sur les Japonais, etc. ?
Y. : Oui, j’achète beaucoup de revues militaires. Les Tigres volants, c’est mon dada, je collectionne ça depuis vingt ans ! Et ça fait vingt ans que j’essaie de faire une série là-dessus, ça n’a jamais rien donné pour diverses raisons et c’était l’occasion de replacer un peu de ma doc. Je peux le faire les yeux fermés. (Sourire.) C’est toujours très rigolo de partir de choses sérieuses pour les tourner en dérision. Je n’aime pas le délire pour le délire parce que je n’y crois plus moi-même. Souvent, ce qui est le plus farfelu est réel d’ailleurs, sinon je n’oserais pas le mettre. J’invente certes des choses, mais le cinéma américain ne se gêne pas non plus pour modifier le cours de l’Histoire ! (Rire.)
Votre collaboration avec Berthet ?
Y. : Cela fait vingt ans que l’on travaille ensemble. C’est du sur mesure très pratique parce que je sais ce qu’il aime ou n’aime pas dessiner. Demander à un dessinateur quelque chose qu’il n’a pas envie de faire donne de très mauvais résultats. C’est mon expérience qui parle. (Sourire.) Je raconte l’histoire à Philippe dans un café – je travaille toujours dans les cafés. Il émet quelques avis, je les note et je les inclus dans le scénario. Il y a très peu de modifications, de discussions. La tradition entre nous, c’est que quand je lui demande un truc très difficile à dessiner, je lui amène de la doc en même temps.
Claude De Vos
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